Stéphane Auriol s’adresse à André Gérin :
Dans l’intérêt de notre bataille pour le relèvement du PCF, je te fais part de mon profond désaccord avec tes positions sur le capitalisme « des métiers »
Cher camarade,
Je suis avec attention tes courriers et tes interventions dans les media. Avec mes camarades de la RATP, nous nous élevons comme toi contre le processus de liquidation de notre parti, né du congrès de Tours, le PCF. C’est pourquoi nous pensons que nous avons intérêt à ne pas cacher certains désaccords, à ouvrir le débat sur certains sujets.
Nous ne nous reconnaissons absolument pas dans les positions que tu as exprimées notamment dans une interview à l’hebdomadaire « Le Nouvel Economiste » daté du 10 avril 2008. Nous sommes conscients que le journaliste peut avoir déformé tes propos, auquel cas il nous paraîtrait important d’imposer une rectification.
Dans les phrases que l’on te prête, tu te fais le défenseur « d’un capitalisme des métiers, des savoir-faire et des produits ». Tu estimes qu’aujourd’hui « les capitaines d’industrie sont nos alliés ». Tu te réjouis d’avoir noué des « relations étroites avec le représentant du patronat Rhône-Alpes, avec l’UIMM… » et de « travailler main dans la main avec les patrons de PME et la chambre de commerce et d’industrie ».
Je partage bien évidemment les objectifs de défense de l’emploi et de l’industrie. Mais cela passe-t-il pas une union sacrée avec nos ennemis de classe ? Pour moi, certainement pas !
Il n’y a pas un « bon » et un « mauvais » capitalisme. J’ai appris dans le parti une vérité théorique, marxiste, qui à mes yeux se confirme chaque jour : les capitalistes recherchent à tirer le profit maximal de l’exploitation des travailleurs. Cela peut passer, a pu passer, pour eux par un investissement dans l’industrie en France. Depuis des années, le patronat a trouvé dans le renforcement de la concurrence internationale sur le marché mondialisé, dans la dégradation pour la classe ouvrière des rapports de classe au niveau mondial, les moyens d’extorquer davantage de plus-value aux travailleurs en France, de remettre en cause leurs acquis sociaux, leurs conditions de travail et leurs salaires, jusqu’à bien sûr leur emploi. Les délocalisations, la désindustrialisation constituent à la fois un instrument et un résultat de leur stratégie capitaliste.
Pour les de Wendel (Seillères), quand la sidérurgie n’a plus assez rapporté en France, ils ont transformé leur groupe en holding financier « Marine-Wendel » (Wendel-investissement). Pour Gallois, plus le carnet de commande d’Airbus est plein, plus il veut filialiser les usines et supprimer des emplois en France. Etc…
Aucune collaboration n’est possible avec les « capitaines d’industrie », leurs groupements UIMM, Medef ou chambres de commerce. Nos intérêts de classe sont opposés. Ce qui ne veut pas dire que l’on ne soit pas amené, sur la base d’un rapport de force, en tant que militants syndicaux, politiques, qu’élus, à discuter.
Le patronat n’a de cesse d’essayer « d’associer » les élus politiques à sa logique pour obtenir encore davantage de cadeaux sous toutes les formes (déductions fiscales, exonérations de cotisations sociales, zones franches, aide en nature…) dans le cadre d’une mise en concurrence des territoires. Communistes, nous ne pouvons que combattre les politiques basées sur le chantage à l’emploi, à la préservation de l’industrie que Sarkozy pratique d’ailleurs sans complexe.
J’en ai aussi vraiment assez d’entendre depuis la période Hue des dirigeants du Parti faire l’apologie des patrons de PME. Commençons par ne pas confondre l’artisanat qui subsiste avec les PME qui résultent de la nouvelle organisation de l’économie voulue par le patronat. Toujours pour dégager un profit maximal, les grandes entreprises ont recours à l’externalisation, à la sous-traitance en cascade. C’est le moyen de pressurer davantage les salariés, de rendre plus difficile encore leur organisation pour se défendre et faire valoir leurs droits. Que la situation personnelle des patrons de ce type de PME tende à se rapprocher de celle de salariés, cela n’y change rien. Toutes les aides accordées à ces PME, sur lesquelles on invite à pleurer comme sur les SDF, sont aussitôt pompées par les donneurs d’ordre et le grand capital.
Ta glorification du capitalisme « des métiers », au niveau des « bassins d’emploi », ta disposition à « défendre des entreprises industrielles capitalistiques » revient à accompagner cette stratégie du capitalisme. Leurs profits d’aujourd’hui ne sont pas les salaires et les emplois de demain ! L’expérience a confirmé notre réflexion théorique.
Quand je te lis affirmer que tu préfères recourir dans ta ville à une entreprise privée plutôt qu’aux services publics si elle apporte la « même réponse technique, moins chère » « sans esprit de boutique, ni partisan », je frémis car je crois entendre les patrons de mon entreprise ou le président PS Huchon de la région Ile-de-France lorsqu’ils justifient, au nom de la concurrence, la marche à la privatisation de la RATP, la baisse de nos salaires réels, la remise en cause de nos jours de repos, la filialisation. Une entreprise privée ne peut pas accomplir le même service public qu’une entreprise publique parce qu’elle ponctionne sa part de profit et cela aux dépens de la qualité de la réponse aux besoins, de l’emploi et des conditions de travail des salariés qui sont pour nous partie intégrante du service public. Une bonne gestion publique ne peut pas être une gestion de type privé. Elle relève effectivement des élus, notamment communistes, responsables devant la population.
Nous sommes en plein dans la discussion sur les nouvelles règles du « dialogue social » et de la représentativité syndicale. Tu réclames que « les salariés, en particulier les ingénieurs, cadres et techniciens (pourquoi davantage que les ouvriers ?) soient « associés aux choix stratégiques de l’entreprise ». Pour moi, ils ne peuvent pas être « associés », cogérer des stratégies capitalistes, ils doivent développer les moyens d’en imposer d’autres dans l’entreprise notamment avec leurs organisations syndicales de classe et la lutte idéologique sur le lieu de l’exploitation qui est la raison d’être des organisations du PCF à l’entreprise que je défends. La politique du pouvoir, le texte sur la représentativité syndicale que défend le Medef visent à structurellement, institutionnellement, financièrement inscrire l’activité des syndicats, (de la CGT qui m’intéresse principalement) dans les choix patronaux. Nous devons combattre cette grave atteinte démocratique et non aller dans son sens.
Je partage ta critique de la notion de « partage des richesses » par la « gauche ». Mais je crains que quand tu dis juste après qu’il faut « combiner résultats financiers et promotion des hommes », je ne sais pas si tu ne tombes pas dans la même logique.
Si je ne te connaissais pas je prendrais pour une insulte la phrase que rapporte le Nouvel économiste : « les cocos doivent virer leur cuti vis-à-vis du pouvoir. Il ne s’agit plus de tenir un discours contestataire en permanence mais de mettre les mains dans le cambouis. ». Je crois des milliers de camarades qui contestent chaque jour la logique capitaliste dans leur entreprise, loin des conseils d’administration et des bureaux des Chambres de commerce et d’industrie, savent ce que c’est que de mettre les mains dans le cambouis. La notion de « compromis » qui termine ton interview est justement celle que nous avons combattue, avec succès, au dernier congrès de la CGT.
André, ton interview a un mérite, celui de contribuer au débat, notamment dans la perspective du congrès sur une question essentielle pour les communistes : la politique industrielle.
Pour moi, en quelques mots, nous devons mettre en avant la défense et l’extension du secteur nationalisé, la remise en cause de la politique de concurrence « de tous contre tous » pilotée par l’UE du capital et l’OMC mais décidée en France. Notre rôle de communistes est de dévoiler, dénoncer, contester les stratégies du capital pour construire des rapports de force, au niveau des bassins d’emploi, du pays contre les choix de désindustrialisation des grands groupes. Sur un autre plan, nous devons mettre au centre, malgré la direction du parti, l’activité et l’organisation communistes à l’entreprise sur la base de notre théorie de la lutte des classes, plus actuelle que jamais.
Je crois que c’est cela qui faisait la force du parti des « années 30 ou 50 » auxquelles tu te réfères, mais encore des années 60, 70 et 80.
Discutons-en !
Fraternellement,
Stéphane Auriol, militant syndical et politique à la RATP, membre du Conseil national du PCF.
En lien :
réponse d'André Gérin à Stéphane Auriol
lettre du PCF Paris 15ème à André Gérin
réponse d'André Gérin au PCF Paris 15
"Camarade Libéré" - article du Nouvel économiste sur André Gérin