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36ème congrès du PCF: accès au dossier (en lien)

       
       
         
12 janvier 2009 1 12 /01 /janvier /2009 09:21

Nous publions ci-dessous un article particulièrement intéressant de notre camarade, Andrea Catone, membre du Parti de la refondation communiste en Italie. Il traite, à partir de la question des intellectuels, ou plutôt du "travail culturel" dans le Parti, de l'évolution du mouvement communiste italien et de sa situation aujourd'hui, notamment dans la perspective d'une unité entre le PRC et le Parti des communistes italiens (PdCI). Merci à Luigi-Alberto Sanchi de nous avoir communiqué ce texte et de l'avoir traduit.

 

Les communistes et le travail culturel

Contribution d'Andrea CATONE à la rencontre pour l’unité des communistes du 14 décembre à Rome

Envisager les questions touchant l’organisation de la culture en fonction d’une lutte politique pour la transformation sociale – ce qui, même en l’actuelle phase historique, exige la présence active d’un parti communiste bien organisé – c’est, semble-t-il, l’affaire des « intellectuels » dans une sorte de division du travail où les politiciens s’occupent de politique, des petites affaires locales jusqu’aux choix stratégiques, tandis que les intellectuels font les intellectuels, élaborent des programmes ou des théories dans le domaine culturel, sont appelés à signer des pétitions etc. : étanchéité entre élaboration culturelle et gestion politique.

            Cette séparation est l’héritage et le reflet de la division en classes depuis l’Antiquité jusqu’au capitalisme.

            Les marxistes et les communistes se sont battus contre cette séparation. À ce propos, le communisme italien possède le riche patrimoine des réflexions de Gramsci sur le rôle des intellectuels.

            Parce qu’ils entendent diriger le mouvement des masses pour la transformation socialiste de la société, les communistes sont des intellectuels.

            Cet exorde n’est pas rhétorique. C’est peut-être le cœur du problème que nous voulons tenter de résoudre. Ce qu’on appelle « crise de la politique », en ce qui nous concerne, naît aussi de ce que les deux principaux (et petits) Partis communistes en Italie, le Parti de la refondation communiste et le Parti des Communistes italiens, sont devenus des organismes où la formation culturelle et politique n’est pas organisée, où on ne trouve pas une élaboration collective des problèmes, où on n’étudie pas avec une méthode rigoureuse les classes, leur mouvement dans la société, les contradictions, les processus en cours. La lutte politique se réduit souvent à du machiavélisme de bas étage, les idées elles-mêmes sont employées avec une forte torsion politicienne. On ne raisonne pas en termes de contradictions de classes mais de « rassemblements politiques », de « formations politiques », d’« espaces politiques » à occuper.

            Or le parti politique du prolétariat, le Parti communiste, est structurellement différent des partis bourgeois même s’il peut leur ressembler dans certains traits extérieurs. C’est un parti qui organise les progrès intellectuels de ses militants, qui œuvre pour dépasser le clivage entre dirigeants et dirigés. Mais sa dégénération l’a amené à être un parti où la séparation s’est renforcée, à avoir un personnel politique de bas niveau.

            Il faut comprendre pourquoi le PRC depuis ses débuts n’a jamais organisé la formation politique de manière systématique et sérieuse (voire pas sérieuse), alors même que des appels en ce sens surgissaient spontanément çà et là. Cette absence systématique, méthodique, structurelle d’attention aux questions de la formation et de la culture politique est un indice révélateur de l’échec du PRC.

            L’abandon d’un programme de formation émanant du centre – école de Parti et séminaires – datait déjà de l’époque du PCI, dans les années 80. C’était largement le reflet de la crise d’identité et de perspectives stratégiques de ce grand Parti qui sera emporté et dénaturé dans la décennie suivante.

            Pourquoi la formation communiste et marxiste a-t-elle toujours été le parent pauvre dans le PRC ? Pourquoi, dans sa pratique politique, a-t-il chaque fois considéré qu’il y avait quelque chose de plus urgent à faire ? Aussi, a-t-on mis à profit un préjugé anti-intellectuel ranimant l’ancien mépris anarcho-syndicaliste envers la théorie et le sens commun des masses (confisqué par la classe dominante), préjugé selon lequel philosophie et théorie ne sont que vaines palabres tandis qu’il faut des « faits », de la « pratique »… oubliant qu’il existe une pratique de la théorie et que le travail théorique n’est pas moins une activité que le travail manuel. Si l’absence d’organisation de la formation au PRC a pu être renforcée par de ce préjugé, sans compter la crainte d’être « dogmatiques », scolaires, etc., elle a eu des racines bien plus profondes, liées à sa nature même. En effet, même dans les meilleures années de sa vie, ce parti ne s’est jamais pensé ni proposé comme avant-garde stratégique de la révolution. Il s’est plutôt concentré sur l’espace électoral à conquérir ou à maintenir. Le manque d’une organisation cohérente de la formation et de la culture politique, de même que l’absence d’organisation d’un travail syndical de masse, montrent que le PRC se pensait comme une force résiduelle au jeu défensif, chevauchant à l’occasion les mouvements de protestation, oscillant entre culture protestataire et subalternité au gouvernement.

            Tant que la formation politique et culturelle sera jugée superflue, oripeau ou danseuse, les communistes n’auront aucune chance et ils resteront subalternes ; ils ne seront pas des communistes dans le meilleur sens du mot. La question de la formation politique et culturelle doit être une partie intégrante du projet de reconstruction d’un Parti communiste.

            Aujourd’hui aussi on a besoin de cette « réforme intellectuelle et morale » qu’appelait Gramsci.

            Aujourd’hui, la culture marxiste est devenue largement minoritaire dans notre pays, après avoir joui, sinon d’une hégémonie, d’un enracinement consistant entre 1945 et 1975. Ecrivains, cinéastes, acteurs, manuels scolaires, disciplines universitaires – d’abord dans les sciences humaines – ont été peu ou prou influencés par le marxisme. Grande maison d’éditions liée au PCI, Editori Riuniti publiait des ouvrages marquants. Ils allaient des classiques du marxisme (très importante l’édition des œuvres complètes de Lénine et celle, restée inachevée, des œuvres de Marx et Engels, aujourd’hui relancée de façon méritoire par l’éditeur napolitain La Città del Sole) jusqu’à la théorie politique contemporaine, en passant par l’histoire du mouvement ouvrier (avec les documents de l’Internationale communiste), par des revues (Critique marxiste, Studi storici, Democrazia e diritto) et par le lien international entre les partis communistes. En Italie la contribution du marxisme a été plus faible dans le domaine des sciences naturelles, encore qu’en ait été nourrie toute une génération de physiciens et de spécialistes des sciences naturelles, et qu’un grand historien de la science comme Ludovico Geymonat en ait été profondément influencé. Encore dans les années 70 des manuels soviétiques de physique étaient adoptés, traduits,  dans quelques universités italiennes.

            D’autres maisons d’édition aussi contribuaient de manière autonome à la diffusion d’une culture marxiste, comme Feltrinelli ou la prestigieuse Einaudi (appartenant aujourd’hui à Berlusconi) : que l’on pense à l’investissement de cette dernière dans l’édition des œuvres de Gramsci, y compris l’édition critique des Cahiers de prison. Une revue hebdomadaire telle que Rinascita, dans sa meilleure période, parvenait à être l’instrument de la formation théorique et politique des cadres et des intellectuels tout en ayant une fonction de travail critique et d’orientation dans les batailles quotidiennes. L’Institut Gramsci et l’école de Parti des Frattocchie, avec la publication d’opuscules pour la formation contribuaient de manière cohérente et organisée au développement du travail culturel dans ses aspects de la formation des cadres du Parti et de l’élaboration théorique. La liste pourrait s’allonger et susciter la nostalgie face à l’abîme qui sépare la misère présente de la richesse culturelle de ce passé. Entre les années 60 et les années 80 il y eut également une floraison de revues « hérétiques » liées aux mouvements de 68 dont aujourd’hui serait utile un bilan critique sur leur rôle réel. Par contre, la production théorique des mouvements et partis marxistes-léninistes a été plus indigente.

            Dans les années 80 l’érosion et la crise de la culture marxiste s’achèvent. Son apogée se situe dans les années 70, avec le développement du mouvement ouvrier et sa déferlante de luttes sociales, politiques et culturelles dans l’intense décennie 1967-1978 : ce n’est pas un hasard si l’un des derniers produits de ce développement a été l’Histoire du marxisme publiée en cinq grands volumes pour Einaudi sous la direction de Hobsbawm ; histoire critique – et critiquable à certains égards – constituée de différentes approches et par des auteurs certes peu homogènes, mais tout de même une pierre miliaire pour étudier le développement du marxisme dans le monde.

            Donc l’érosion du marxisme qui avait déployé son grand potentiel dans les trente années précédentes et avait joui d’une hégémonie durable (par exemple, les catégories gramsciennes entrèrent non seulement dans les travaux spécialisés et universitaires, mais aussi dans les manuels scolaires), commença dans les années 80, justement liée aux signaux de crise du mouvement international communiste qui, pourtant, vers le milieu des années 70 avait remporté une victoire politique, militaire et symbolique considérable avec la défaite des USA au Vietnam. Mais le camp socialiste était profondément divisé avec l’éloignement croissant de Chine et URSS et la guerre entre Chine et Vietnam, la dissolution du front indochinois, les difficultés de l’URSS à se maintenir à son intérieur comme dans ses rapports avec les pays d’Europe centrale et orientale – à commencer par la Pologne – ainsi que sur l’échiquier mondial où la déchirure Chine-URSS fut exploitée par l’impérialisme pour diviser les mouvements anti-impérialistes, de l’Asie (avec l’Afghanistan) à l’Afrique.

            La crise du marxisme en Italie fut liée à la défaite du projet stratégique du PCI, à son incapacité à se donner une ligne convaincante après l’échec du « compromis historique » avec la Démocratie Chrétienne. Histoire qui reste entièrement à écrire et à interroger de manière critique.

            Que cette tâche n’ait pas été accomplie depuis, c’est un signe éloquent de la décadence culturelle et politique où nous sommes tombés. Non seulement n’y a-t-il pas eu d’histoire du communisme italien qui soit partagée par tous ses héritiers ; non seulement n’a-t-on même pas réglé nos comptes avec lui – comptes qu’avait su régler avec le socialisme italien et avec ses propres origines l’ancien Parti Communiste d’Italie dans ses célèbres « Thèses de Lyon » émises lors de son IIIe congrès, en janvier 1926 – mais on n’a pas non plus tenté de le faire, en dehors d’initiatives individuelles.

            La « Bolognina » d’Occhetto (le 12 novembre 1989, à l’occasion d’un discours sur la bataille de la Résistance dite de « la Bolognina », Achille Occhetto, alors secrétaire du PCI, a lancé le processus de changement du Parti, abouti le 3 février 1991 avec la dissolution du PCI) est survenue à la fin d’une décennie où la baisse du consensus électoral ne photographiait qu’en partie l’érosion bien plus grande et profonde de la culture marxiste et la dégénération interne du Parti communiste. Favorisé et accéléré par la crise puis la ruine de l’URSS et du socialisme réel comme par l’idéologie gorbatchévienne (d’ailleurs élaborée avec l’apport d’idéologues antimarxistes du PCI), le tournant inauguré par Occhetto eut la force de soustraire la majorité du PCI à la perspective communiste, parce qu’une grande partie de son patrimoine historique et culturel avait déjà été dilapidé. Certes, la nouvelle formation politique n’abandonnait pas complètement l’enseigne de la transformation sociale et des réformes, mais elle la plaçait entièrement au sein du réformisme social-démocrate, de l’acceptation du capitalisme comme dernier horizon de l’histoire. Occhetto brandissait le drapeau social-démocrate à l’heure même où le projet social-démocrate entrait en crise, à cause du profond remaniement à l’Est et de l’ouverture du marché mondial, ce qui signifiait une concurrence inter-capitaliste à l’échelle planétaire, compétition globale sur tous les marchés avec pour effet, d’une part, la nécessité de réduire au minimum les coûts de production directs et indirects et, d’autre part, le fait de n’avoir plus grand-chose à redistribuer. Car la social-démocratie du XXe siècle n’est parvenue à se frayer un chemin en Occident que : a) parce qu’il y avait l’URSS et le camp socialiste qui suggéraient au capital de faire des concessions sur le terrain économique, l’État-providence et le droit du travail, pour éviter que les masses ne se tournent vers l’Est et s’emparent du pouvoir ; b) parce que la phase d’expansion mondiale permettait de redistribuer une partie des profits accumulés afin d’acheter le consensus. Au reste, tous les gourous prêchaient qu’avec la fin de l’URSS il n’y avait d’autre perspective que le capitalisme, que les masses n’avaient pas d’alternative…

            La naissance du PRC pour résister et s’opposer à la dissolution promue par Occhetto n’était pas le fruit d’un projet stratégique mais une simple réaction, résistance faite au nom d’un symbole, d’un drapeau, d’un idéal dans le meilleur des cas voire, plus banalement, d’un calcul politicien en vue du consensus électoral que le vieux logo de la faucille et du marteau pouvait encore assurer. Ce fut probablement tout ce que l’on pouvait faire sur la base des forces existantes et de la profonde érosion culturelle et idéologique intervenue dans le communisme italien, mais cette limite originelle n’a jamais vraiment fait l’objet d’une réflexion ni n’a été posé comme problème à résoudre comme, pour faire une comparaison avec une autre ère, l’ont su faire les communistes italiens avec les thèses de Lyon de 1926 par rapport aux limites historiques et politiques de la scission de 1921.

            La conséquence de tout cela – ainsi que la pierre de touche – a été que le PRC n’a jamais eu une politique de formation de ses cadres militants : « école de Parti » eût semblé un gros mot. Il ne pouvait l’avoir, en l’absence d’un axe culturel et idéologique commun. Pour faire un exemple qui, au lieu de concerner le bilan très contesté de l’histoire du communisme au XXe siècle, porte sur l’action politique actuelle : dans l’analyse de la structure économique et dans les propositions de politique économique, le keynesisme, et non le marxisme, apparaissait comme la pointe révolutionnaire la plus avancée qui fût.

            La débâcle idéologique a également représenté une chute dans le style de travail, dans l’approche des questions suivant, en cela, la dérive de la culture italienne, de plus en plus dominée par la télé-poubelle et par la politique-spectacle, par un manque d’étude sérieuse et par le règne de l’éphémère. Non seulement n’y a-t-il pas eu un retour sérieux à la culture marxiste (la question n’a même pas été posée !), il y a eu une débâcle de la culture tout court. Sauf exception, une grande superficialité culturelle a triomphé.

            Au sein de cette décadence générale, réunies autour de groupes, réseaux de camarades ou courants internes au PRC, quelques revues – pour en citer quelques-unes, aux conceptions parfois très différentes : La Contraddizione, Contropiano, L’Ernesto, Marxismo oggi – ont constitué une voix parlant en-dehors du provincialisme italien et dans un courant marxiste et communiste mondial qui, malgré les crises et les difficultés de toutes sortes, n’avait pas disparu. Cette voix luttait et élaborait des idées en proposant des analyses de classe, en reprenant la théorie léniniste de l’impérialisme dans les conditions d’aujourd’hui, en se battant contre la démolition du marxisme, en posant dans des termes corrects la question du rapport à l’héritage communiste du XXe siècle. En revanche, l’analyse de la société italienne et, de là, l’élaboration d’une stratégie qui sût lier le contexte mondial et l’ancrage dans le pays, ont été plus faibles, ce qui reflétait l’état des forces politiques et de la pratique politique.

Les communistes savent que l’une de leurs tâches stratégiques est l’organisation de la culture. Il y a plusieurs niveaux et différentes tâches spécifiques.

            Il faut une élaboration à la hauteur du conflit de classe actuel. Travail réel, non la répétition des théories produites dans le passé par nos classiques. Autrefois organisé de manière collective dans des centres de recherche liés de façon plus ou moins directe au Parti communiste, ce travail est aujourd’hui le fait de forces modestes, de quelques individus de bonne volonté. Les occasions d’échanger qu’ont les chercheurs marxistes et communistes sont rares et non systématiques, elles ne permettent pas de sauts de qualité. Sans en avoir l’envergure, nous sommes tous un peu des Gramsci en prison écrivant des cahiers pour les générations à venir. De surcroît, la diffusion des élaborations se produit ou bien par de petites revues, ou bien par les rares éditeurs disponibles que des limites objectives obligent à des tirages minimes : Achab, Teti, Zambon, outre La Città del Sole, maison d’éditions et centre culturel qui a, en connaissance de cause, posé la question du développement organique d’une culture marxiste et communiste.

            D’autres formes de théorisation dominent à « gauche », parfois intéressantes mais bien loin d’une conception marxiste et communiste : que l’on pense à la fortune récente dans l’univers ex-altermondialiste des théories de la décroissance propagées par Serge Latouche et par d’autres, qui cernent de façon unilatérale un grand problème du capitalisme mais indiquent une solution régressive, en partant d’un point de vue fondamentalement occidental.

            Il faut travailler pour que l’élaboration marxiste puisse se frayer un chemin et acquière une dimension de masse au lieu de se borner à quelques cercles de savants. Aujourd’hui, la théorie est perçue par une bonne partie de ce qui reste du « peuple communiste » comme un vain mot, un oripeau, de toute manière inférieure à la pratique. Ou alors – c’est le revers de la médaille – comme une affirmation identitaire, soulignement de ses origines, des textes sacrés. Dans un cas comme dans l’autre (les deux cas ayant des raisons historiques précises dans l’usage dévoyé qui a été fait de la théorie) elle est considérée comme une opération rhétorique.

            Il faut donc redonner sa dignité à l’élaboration théorique marxiste, organiser ses lieux et ses formes, afin qu’un travail jusqu’ici personnel redevienne collectif et nécessaire à la transformation révolutionnaire de la société.

            Problème ardu. Nous en avons décrit la tête, mais non la base. Nous avons non seulement perdu les lieux communistes de la production et de la circulation des théories (suppléés en ces années par les productions des intellectuels, « traditionnelles » en ce qu’elles se fondent sur une tradition d’élite et d’individus), nous avons aussi perdu le terrain sur lequel peut se développer fructueusement une élaboration marxiste qui, en tant que telle, n’est jamais pure étude intellectuelle mais action transformatrice des rapports sociaux. Une culture communiste de base est absente. Sans cela, les élaborations théoriques les meilleures seront l’apanage du cercle, si restreint qu’il risque de s’éteindre, des intellectuels marxistes, ne deviendront pas l’acquis des masses ni ne pourront se nourrir des critiques, des suggestions, des observations, des pratiques des masses.

            Autrement dit, dans les vingt dernières années on a assisté à une véritable rupture générationnelle dans la transmission de la culture marxiste et communiste. Les nouvelles générations, qui en ont vaguement entendu parler et qui ont essayé d’étudier quelque chose, s’en sont approchées de manière hasardeuse, occasionnelle, atomisée. Leur vision de l’histoire du mouvement communiste italien et mondial (ce qui signifie aussi, inévitablement, l’histoire du Monde), de la théorie marxiste, de la conception du monde communiste est fragmentaire, mélangée au sens commun sous l’emprise des idées de la classe dominante. Ce caractère dispersé, cette absence d’une conception organique produit également une grande difficulté de communiquer, un Babel de langages, une confusion de concepts. Pour lever toute équivoque, je ne veux pas ici défendre l’uniformité dogmatique d’un B-A-ba du communisme, mais la nécessité de bâtir les bases d’une culture marxiste organisée qui parvienne à redonner aux camarades les instruments essentiels pour lire le monde et s’orienter dans l’action politique.

            Nous éprouvons le besoin urgent de construire une culture communiste de base s’appuyant sur la production éditoriale traditionnelle (manuels d’histoire communiste, d’histoire du syndicat, d’introduction au marxisme mais aussi livres d’inspiration marxiste sur les développements scientifiques, sur l’anthropologie, sur l’histoire des religions…) et sur les nouvelles technologies et la diffusion par la Toile. A ce propos, le travail accompli par des camarades comme le site Resistenze, du Centre de culture populaire de Turin, montre la voie et, en plus, nous dit qu’il ne faut pas de grands moyens pour rendre disponibles en ligne les grands classiques du marxisme et de milliers d’articles et documents.

            Mais il faut un saut de qualité. Un grand travail coordonné et organisé qui soit à même de centraliser les initiatives utiles mais éparpillées de groupes, d’individus, et de planifier leur travail pour éviter des doublons et optimiser la production éditoriale. Plusieurs énergies restent inutilisées ou sous-employées, dispersées, fragmentées. L’Italie n’est pas seulement le pays de Machiavel, c’est aussi la terre du Guichardin, du particularisme communal, de la tendance à la constitution et à la reproduction extensive de cénacles et groupes avec leur apparat microscopique de chefs satisfaits de leur rôle : il vaut mieux être le premier à Tivoli que le deuxième à Rome… Ce particularisme a caractérisé également l’histoire du socialisme et du communisme italiens et n’a été dépassé que lorsque le Parti communiste s’est doté d’une structure forte et d’une stratégie efficace. Depuis la liquidation du PCI et avec la panne stratégique du PRC (maintenant patente en raison de la débâcle électorale, mais présente dès les origines et aggravée par la direction volubile de Bertinotti, qui oscillait entre altermondialistes et tentations gouvernementales) ce même particularisme tend à s’accroître et à se multiplier dans de petits centres souvent autistes, plus attentifs à se préserver, en dépit de leurs proclamations fracassantes, qu’à promouvoir une politique réelle de conquête de la classe ouvrière et de lutte de classe.

En ce moment, il est fondamental de travailler pour dépasser la dispersion, pour centraliser toutes les ressources, humaines et matérielles, communistes. Tâche particulièrement ingrate étant donné la situation où aucune force communiste ne dispose d’une masse critique suffisante pour pouvoir se présenter comme un pôle d’agrégation des petites « républiques autonomes » communistes éparpillées dans la Péninsule. Dans la faiblesse générale, chacune peut nourrir la conviction d’être au centre du processus de reconstitution de l’unité communiste, de connaître la bonne méthode, de pouvoir être hégémonique. Or elles ne font qu’ajouter à la dispersion.

Il faut la force d’un projet à même, aujourd'hui, d’unifier sans exiger une uniformité impossible ou des homologations absolues et qui soit capable de céder sur des questions secondaires pour mieux atteindre l’objectif principal. L’unité politique n'est pas donnée au départ, c'est un processus de lutte et de transformation.

 

Tant que la question de l'organisation de la culture communiste sera jugée superflue, sorte de « luxe » par rapport aux urgences du moment (listes électorales, etc.), nous n'aurons aucune base solide pour la reconstruction communiste et pour l'unité des communistes.

 

À partir de l’exigence fondamentale de la diffusion d’une culture communiste de base sur laquelle greffer un processus d’élaboration théorique et stratégique collective, donc un progrès intellectuel de masse, non limité aux cénacles savants, nous pouvons lancer la proposition d'une coordination des différentes réalités communistes oeuvrant sur le front culturel (revues, maisons d'édition, sites internet, etc.) afin de parvenir réellement à des formes de coopération et à la création d'un centre éditorial et culturel fort. Dans le passé récent des tentatives ont eu lieu, c'est le signe évident que cette exigence est ressentie, sans pouvoir pour autant dépasser le particularisme et la dispersion.

 

C'est une perspective stratégique. Sans une politique organisée, non épisodique, de

 

   diffusion d'une culture communiste de base

   formation de cadres communistes

   élaboration théorique et stratégique collective

 

toute proposition de reconstruciton communiste sera éphémère et soumise aux conflits et à la fragmentation dûs à l'absence d'un réel collant : celui-ci ne peut qu'être fondé sur une conception du monde unitaire et commune, sur une base marxiste qui nous permette de lire le « monde vaste et terrible » et de s'y orienter, sur une éthique communiste qui place la visée communiste avant l'avantage personnel. Reconstruction qui n'a pas besoin d'utiliser rhétoriquement les « intellectuels » comme oripeaux mais qui se fonde sur des militants-intellectuels et d'intellectuels-militants.

 

Il faut la force d'un projet

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commentaires

G
Cet extrait peut se lire aussi comme une injonction à nous, communistes au PCF, d'accomplir un "saut qualitatif" dans l'organisation de notre opposition commune au projet liquidateur qui a manifestement consolidé son emprise sur la direction.<br /> <br /> "En ce moment, il est fondamental de travailler pour dépasser la dispersion, pour centraliser toutes les ressources, humaines et matérielles, communistes. Tâche particulièrement ingrate étant donné la situation où aucune force communiste ne dispose d’une masse critique suffisante pour pouvoir se présenter comme un pôle d’agrégation des petites « républiques autonomes » communistes éparpillées dans la Péninsule. Dans la faiblesse générale, chacune peut nourrir la conviction d’être au centre du processus de reconstitution de l’unité communiste, de connaître la bonne méthode, de pouvoir être hégémonique. Or elles ne font qu’ajouter à la dispersion".
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